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Appel à communicationLes doctorant.es des laboratoires CITERES (Université de Tours) et RURALITES (Université de Poitiers) invitent les jeunes chercheuses et chercheurs de multiples disciplines de sciences humaines et sociales à partager leurs travaux sur le thème “Inégalités et territoire(s)”. L’objectif de cette journée est d’interroger les différentes formes d’inégalités qui se jouent entre les territoires, c'est-à-dire les inégalités territoriales (Dupuy, 2020) et dans les territoires, autrement dit les inégalités intraterritoriales. Si la notion de territoire a pu être définie selon des dimensions identitaires, matérielles et organisationnelles (Laganier et al., 2002; citent Auriac et Brunet 1986; Brunet et Dolfus, 1990; Le Berre 1995), elle renvoie aussi à un espace socialement construit et structurant pour les politiques publiques (Smith, 2020). Ainsi, la notion de territoire peut être envisagée dans une approche dynamique, relationnelle et à différentes échelles spatiales : mondiale, nationale, régionale et locale. Les territoires sont aussi construits par les différents rapports sociaux (de classe, de genre, de race, etc.) qui s’y exercent et engendrent des formes de mobilisations, d’appropriations et d'inégalités. Par inégalités, nous renvoyons ici à l’idée d’une distribution inégale des ressources (matérielles, politiques, sociales, culturelles) entre les membres d’une société, susceptible de produire un sentiment d’injustice (Bihr et Pferfferkorn, 2008). Alain Bihr et Roland Pfefferkorn rappellent le caractère multidimensionnel, reproductible et cumulatif des formes d’inégalités. Cette journée vise donc à interroger et analyser assez largement la manière dont les inégalités, sous différents aspects, sont façonnées et façonnent le “territoire”. Pour aborder ces enjeux, nous proposons trois axes autour desquels nous invitons les participant.e.s à articuler leur proposition. Axe 1 - Inégalités et justice environnementale Cet axe aborde la question de l’exposition des différents groupes sociaux aux nuisances et risques environnementaux. Les réflexions sur les inégalités environnementales naissent dans le cadre du mouvement de justice environnementale qui émerge dans le contexte étasunien des années 1980. Aujourd’hui, les théories de la justice climatique insistent sur le fait que les pays et les peuples qui ont le moins contribué historiquement au changement climatique sont ceux qui en subissent le plus les impacts et ont moins la possibilité de s’en protéger ou de s’y adapter (Laigle, 2019). Les modes de vie ont des impacts disparates et conduisent à des transferts de coûts socio-écologiques majoritairement vers les Suds (Martínez-Alier, 2003). La territorialisation des enjeux environnementaux et le déploiement de dispositifs participatifs institutionnels sont régulièrement mis en avant dans le cadre des politiques de développement durable en réponse à ces inégalités. Dans ce sens, le processus de décentralisation entamé dans les années 1980 est pensé comme un moyen de donner aux collectivités territoriales davantage de liberté pour répondre aux enjeux environnementaux. De nouveaux modèles de gouvernance, visant à intégrer pleinement l’impératif démocratique et à favoriser la participation des habitant.es aux décisions qui les concernent sont mis en avant (Rumpala, 2011). Toutefois, de récents exemples tels que la Convention Citoyenne pour le Climat rappellent que les dispositifs de participation s’insèrent aussi dans des rapports de pouvoir multiscalaires. Cela interroge plus largement les marges de manœuvre dont disposent ces instances de participation dans un contexte où la légitimité démocratique reste bien souvent circonscrite aux représentants politiques. Les inégalités environnementales méritent par ailleurs d’être analysées sous l’angle des rapports sociaux qui les structurent et des rapports inter-générationnels que la crise climatique fait émerger. Plusieurs questionnements guident cet axe, tant dans une optique de justice distributive que procédurale : Qui subit les nuisances et risques environnementaux sur les territoires ? Qui profite des aménités environnementales ? Axe 2 - Formes de participation et fabrique des territoiresCet axe interroge la manière dont les citoyens et les citoyennes participent à la production des territoires, ainsi que les relations qu’ils entretiennent avec les autres acteurs (dés)engagés dans ce processus comme les élu.e.s et les experts. Par production du territoire, nous entendons ici, le processus par lequel des espaces restreints (quartiers, communes, etc.) sont façonnés et/ou transformés par les pratiques sociales et politiques. Si le terme de participation est très large, nous retenons ici une définition qui se concentre sur deux aspects. Elle renvoie d’abord au processus qui “se déploie dans les dispositifs organisés par les institutions publiques afin d’impliquer les citoyens, d’une façon plus ou moins contraignante, dans la prise d’une décision publique” (Bobbio et Melé, 2015). Avec le développement de ce nouvel esprit de la démocratie (Blondiaux, 2008), de nombreux dispositifs participatifs ont émergé au cours des dernières décennies et ont fait l’objet de nombreux travaux. Les propositions pourront analyser la manière dont les citoyen.ne.s sont invités à participer aux dispositifs, et comment ils sont traversés par différents rapports de pouvoir qui façonnent leur déroulement et leur issues. Il peut s’agir aussi d’analyser la manière dont ils participent à (re)produire des inégalités sociales, ou encore susciter des appropriations ou résistances chez les parties prenantes de ces dispositifs. Enfin, peuvent être analysés les effets de la participation sur les participant.e.s. Assistons-nous par exemple à des formes de politisation ? Transforme-elle le rapport qu’entretiennent les participant.e.s au politique et au territoire ? La participation peut aussi recouvrir des formes plus “ordinaires” qui ne découlent pas forcément d’une volonté explicite des pouvoirs publics d’associer les citoyen.ne.s aux décisions. On pense ici à des initiatives souvent qualifiées de “citoyennes”, qui consistent en des mobilisations dans l’espace public, relevant parfois d’un modèle contestataire visible ou de résistances menées à bas-bruit (Scott, 2008). Ces formes de participation peuvent être à l’initiative d’habitant.es, d’associations ou encore de mouvements sociaux. Dans ce sens, il peut être analysé la manière dont ces pratiques sont mises en place par les personnes et/ou collectifs ainsi que les discours qu’ils portent et les effets produits sur celles et ceux qui s’y engagent. Ces formes de participation, qu’elles soient “invitées” ou non, contribuent à la production de territoires. On pense par exemple à la manière dont ces différentes formes de participation agissent sur la morphologie urbaine ou sur les différentes ressources sociales, symboliques économiques et culturelles des habitant.e.s (Collectif Rosa Bonheur, 2019). Quelles sont les formes de participation qui produisent les territoires ? Comment sont-elles traversées par des rapports de pouvoir ? Quels groupes sociaux sont (dé)mobilisés dans ce processus ? Quels rapports de pouvoir entrent en jeu ? Quels effets ont les dispositifs de participation sur les inégalités territoriales et environnementales ? Comment les dispositifs de participation sont-ils construits et comment ces modes de construction influent-ils sur les réponses politiques aux inégalités ? Axe 3 - Inégalités de genre et territoire Le troisième et dernier axe de cette journée invite à réfléchir plus spécifiquement à la question des inégalités de genre, et la manière dont celles-ci s’articulent aux questions de territoire. Pour Joan W. Scott, “le genre est un élément constitutif des rapports sociaux fondé sur des différences perçues entre les sexes” (Scott, 1988, p.141). C’est aussi un système qui organise les différences hiérarchisées entre les sexes (Kergoat, 2005). Danièle Kergoat, propose de parler de rapports sociaux de sexe pour insister sur la dimension dynamique de ce système et la division du travail qu’il engendre (ibid, 2005). Ce processus se retrouve dans toutes les sociétés. Par exemple, la féminisation de la pauvreté, aussi bien observée dans les pays dits “développés” que ceux dits “en voie de développement” (Johnsson-Latham, 2007) montre bien comment ces rapports de pouvoirs jouent dans des contextes nationaux différents. De plus en plus de travaux issus des sciences humaines et sociales articulent le genre avec la dimension territoriale. On pense à l’analyse des liens entre les inégalités de genre et la ville (Mosconi, Paoletti, Raibaud, 2015), qu’il s’agisse de métropolisation (Louargant, 2015) ou du développement de politique en faveur d’une “ville durable” (Raibaud, 2015). Les géographes et sociologues observent aussi des stratégies d’appropriations de la ville, à l’instar de mouvements associatifs féminins au maghreb autour de l'amélioration des conditions de vie et de l’espace résidentiel (Semmoud, 2012). Dans le cadre de politiques publiques visant à transformer les territoires, les femmes peuvent être considérées comme le public “cible”. L’assignation prioritaire des femmes aux choix de consommation (Mathe et Hebel, 2013) peut alimenter l’idée qu’elles seraient de potentiels “agents de changements” dans l'adaptation aux changements climatiques. Par exemple, le récent rapport des Nations Unies concernant « le rôle des femmes dans le développement » recommande de faire le lien entre l’égalité des genres et le développement durable. Du fait de leur assignation prioritaire au travail de subsistance, l’exacerbation des phénomènes de dérèglement climatiques dont la sécheresse, la désertification et les fortes précipitations dans certains pays impactent plus directement les femmes. Si elles sont largement touchées par les inégalités, paradoxalement, les revendications et les discours portés par les femmes ne sont pas toujours visibles. Certaines études montrent que les décisions des femmes tendent à disparaître des discours locaux, notamment sur l’économie sociale, même lorsqu’elles sont leaders des groupes décisionnels (Côté et Simard, 2013). Cela interroge plus largement la manière dont le genre et les inégalités qui lui sont attachées façonnent la fabrication des territoires et des processus qui visent à les changer. Ainsi, à l'aune de ces quelques constats, la question que nous nous posons est de savoir comment la problématique du genre est-elle prise en compte dans les politiques publiques ? Le genre entretien-t-il des liens avec les inégalités environnementales et territoriales ? Quels sont les acteurs à l’œuvre de ces inégalités, comment se traduisent-elles au sein d'un territoire qu'il soit urbain ou rural et par quels mécanismes se produisent et se reproduisent ces inégalités ? Conditions de soumission de propositionLes personnes qui souhaitent soumettre une proposition de communication sont invitées à envoyer un texte de 500 mots (bibliographie non comprise). Ce texte doit présenter une courte présentation, un plan détaillé de la communication, l'approche méthodologique, les résultats visés et une bibliographie. Les résumés sont attendus avant le 27 septembre 2021. Bibliographie indicative Bihr, A. & Pfefferkorn, R. (2008). Le système des inégalités. Paris: La Découverte. Blondiaux L. (2008). Le nouvel esprit de la démocratie. Actualité de la démocratie participative, Seuil, coll. « La république des idées », 2008, 109 p. Bobbio, L. & Melé, P. (2015). Introduction. Les relations paradoxales entre conflit et participation. Participations, 3(3), 7-33. Collectif Rosa Bonheur. (2019),La ville vue d'en bas. Travail et production de l'espace populaire, Paris, Amsterdam Editions, 227 p. Côté, D. & Simard, E. (2013). Mésaventure ou mauvaises habitudes ? La disparition des femmes dans les discours locaux sur l'économie sociale au Québec, Érudit, Dossier Dupuy C. (2020). « Inégalités territoriales », dans : Romain Pasquier éd., Dictionnaire des politiques territoriales. Paris, Presses de Sciences Po, « Références », p. 288-293 Johnsson-Latham, G. (2007). A study on gender equality as a prerequisite for sustainable development. Environment Advisory Council, Ministry of the Environment, Sweden. Kergoat, D. (2005), « 12. Rapports sociaux et division du travail entre les sexes », dans : Margaret Maruani éd., Femmes, genre et sociétés. L'état des savoirs. Paris, La Découverte, « TAP / Hors Série », p. 94-101. Laganier, R., Villalba, B., & Zuindeau, B. (2002). Le développement durable face au territoire : Éléments pour une recherche pluridisciplinaire. Développement durable et territoires, Dossier 1. Laigle, L. (2019). Justice climatique et mobilisations environnementales. VertigO, 19(1). Louargant, S. (2015), « Penser la métropole avec le genre », Travail, genre et sociétés, n° 33, p. 49-66. Martínez-Alier, J. (2003). The Environmentalism of the Poor : A Study of Ecological Conflicts and Valuation. Edward Elgar Publishing. Mathe, T. & Hebel, P. (2013) Comment consomment les hommes et les femmes ? », CREDOC, Cahier de recherche, 309 Mosconi, N., Paoletti, M., Raibaud, Y. (2015), « Le genre, la ville », Travail, genre et sociétés, n° 33, p. 23-28. Raibaud, Y. (2015), « Durable mais inégalitaire : la ville », Travail, genre et sociétés, 2015/1 (n° 33), p. 29-47. Rumpala, Y. (2011). De l'objectif de « développement durable » à la gouvernementalisation du changement. Expressions et effets d'une préoccupation institutionnelle renouvelée en France et dans l'Union européenne. Politique européenne, 1(1), 119-153. Semmoud, N. (2012), « La ville rend libre ? L’urbanité au féminin dans le Maghreb », Égypte/Monde arabe, n° 9, p. 39-54 Scott, J. (2008). La domination et les arts de la résistance. Fragments du discours subalterne, Paris, Amsterdam Editions, 2019, 426 p. Scott, J. & Varikas, É. (1988), “Genre : Une catégorie utile d'analyse historique”. In: Les Cahiers du GRIF, n°37-38. Le genre de l'histoire. pp. 125-153 Smith, A. (2020), « Territoire », dans : Romain Pasquier éd., Dictionnaire des politiques territoriales. Paris, Presses de Sciences Po, « Références », 2020, p. 525-529
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